Cindy au Midem: Un mélo pour ados


Christian Rioux


Cannes - La nouvelle comédie musicale de Luc Plamondon, Cindy, présentée en première hier au Marché international du disque et de l'édition musicale (Midem) de Cannes, n'a pas suscité le même enthousiasme que Notre-Dame de Paris au même endroit quatre ans plus tôt.

Les professionnels réunis au Midem ont tout de même accordé aux 11 chansons présentées hier la traditionnelle ovation. Le "vrai" public, surtout composé d'adolescentes, n'en avait, lui, que pour Karine, la "vraie" Cendrillon qui sait à peine chanter, mais que Luc Plamondon a eu le bon sens commercial de choisir parmi les finalistes de l'émission de téléréalité française Star Academy. Ce qu'on pouvait voir hier de cette Cendrillon des cités ressemble à un assemblage hétéroclite programmé pour aller chercher le jeune public des banlieues françaises. "C'est un show qui va plaire aux jeunes", admet le parolier qui a terminé la rédaction des chansons du disque il y a deux jours. "Ceux qui ont le goût d'être jeunes viendront certainement."

Mais ce raboudinage de textes très inégaux et de musiques qui vont du disco aux ballades, en passant par de vagues sonorités celtiques et quelques accents rap, suffira-t-il à faire un spectacle? Luc Plamondon ne semble pas le savoir lui-même puisqu'il admet qu'il lui reste plus d'une demi-douzaine de chansons à écrire.

Pour l'instant, cela ressemble à un spectacle pour préadolescents. Tout, du choix des textes à la distribution, ressemble à une opération consciente pour conquérir les jeunes Français des banlieues dont le malaise défraie la manchette depuis des mois.

Le parolier, qui ne décide rien sans son inséparable producteur Charles Talar, n'a évidemment pas perdu son sens inné de la rythmique. Quelques chansons laissent encore entrevoir le génial auteur du Parc Belmont ou d'Oxygène. Un homme qui passe, fort bien interprétée par le grisonnant Murray Head (un des rares à ne pas crier dans son micro), n'est pas dénuée de cette magie. "Un jour Superman, un jour Fantômas/Un homme qui s'efface sans laisser de traces". La chanson ne devrait pas tarder à s'imposer dans les palmarès.

L'ennui, c'est que Plamondon distille dorénavant cette magie au compte-gouttes et qu'il croit malheureusement devoir l'envelopper des pires clichés. "Cindy tu as mis le jour dans ma vie/Tu as mis l'amour dans mes nuits". Le texte est aussi soigneusement parsemé de ces petits mots anglais qui émoustillent tant les Français.

Le livret sombre parfois dans les pires poncifs de la "bienpensance" de l'époque. "Ils ont beau nous annoncer le pire tous les matins/Je veux croire encore à l'être humain", s'égosille Lââm. Luc Plamondon dit avoir écrit Un monde à nous juste après les attentats du 11 septembre. Ma tour de Babel, qui parle pourtant des tours de l'argent, aurait, malgré les apparences, été écrite il y a cinq ans avec Richard Cocciante.

Mais le grand handicap de Cindy, contrairement à Notre-Dame de Paris, tient d'abord à sa distribution. Aucune voix, surtout pas celles des vedettes Lââm et Frank Sherbourne (le prince charmant), n'atteignent la tension dramatique d'un Daniel Lavoie, la puissance d'un Garou ou le détachement cabotin d'un Bruno Pelletier. Malgré une belle énergie, Lââm multiplie les trémolos factices en se regardant chanter. Le pauvre Jay (le copain de Cindy) serait plus à l'aise dans des raps subtils. On lui a malheureusement donné la consigne de s'égosiller lui aussi.

Seules la Marseillaise d'origine antillaise Kristel Adams (la mère de Cindy) et la Québécoise Judith Bérard (la top-model) ont le calibre de leurs prédécesseurs. On aurait dit hier qu'elles étaient les seules à avoir répété. La seconde, avec son expérience de comédienne, est particulièrement étonnante dans Salaud. Les exigences du marketing ont malheureusement relégué ces voix exceptionnelles à des rôles secondaires.

La musique de Romano Musumarra n'a pas le baroque des mélodies de Richard Cocciante. Elle a pourtant l'efficacité nécessaire malgré les arrangements préfabriqués qui semblent la loi du genre.

Difficile de dire si Cindy contient les deux ou trois tubes qui font le succès de ce genre de production faite d'abord pour le marché du disque. Parions que Rebelle (sur la révolte des jeunes banlieusards), Un homme qui passe et Un monde à nous (à cause du matraquage qui est déjà commencé) parviendront à s'imposer.

Chose certaine, le rose de Cindy n'est pas le rose libérateur que voyait Dioxine de carbone dans ses rêves les plus délirants, dans l'opéra-cartoon de Luc Plamondon présenté à Paris en 1983. C'est celui d'un marketing asphyxiant bardé d'impératifs commerciaux qui étouffent le génie des créateurs et des artistes. Les interprètes ont accepté de chanter sans connaître les textes qu'on leur préparait. La mise en scène et les décors ne sont pas même à l'état de projet. Seule certitude, prêt ou pas, le spectacle prendra l'affiche le 25 septembre au Palais des congrès de Paris. Advienne que pourra, 40 000 billets sont déjà vendus.

Les rédacteurs du dossier de presse ont poussé le culot jusqu'à ranger le brillant producteur Charles Talar, qui a misé 10 millions sur Cindy, dans la catégorie des "créateurs" au même titre que Luc Plamondon, le compositeur Romano Musumarra et le metteur en scène Lewis Furey. On souhaitait secrètement que ce fût une erreur.